En septembre dernier, j’ai eu la chance d’être convié à l’avant première du film Albatros de Xavier Beauvois au cinéma Pathé Rives de l’Orne à Caen. Après les longs mois de Covid, c’était un véritable plaisir de reprendre le chemin des salles obscures. Ce le fut d’autant plus pour découvrir la nouvelle œuvre du réalisateur de Des hommes et des dieux. Pour rappel cette histoire retraçait l’assassinat des moines de Tibhirine et fut Grand Prix à Cannes en 2010 et César du meilleur film en 2011.
Habitué à me rendre à ces invitations « en aveugle » pour vivre le film de la façon la plus neutre possible, j’ai -cette fois-un peu dérogé à ma petite méthodologie. En effet, pour ce film, j’avais déjà lu quelques papiers concernant le film Albatros. Des articles vantant la qualité du film au moment de la sélection officielle du Festival de Berlin 2021 avaient déjà titillé ma curiosité. Cependant c’était assez lointain dans mon esprit. Finalement il ne me restait en tête que le synopsis au moment d’entrer dans la salle découvrir Albatros sorti ce 3 Novembre 2021.
Table des matières
Le synopsis du film Albatros
Au sein de la brigade de gendarmerie d’Etretat en Normandie, Laurent est commandant. Il est en couple depuis dix ans avec Marie, mère de sa fille surnommée Poulette. Malgré un quotidien qui le confronte à la misère sociale et aux drames tels que l’inceste, le suicide ou les violences conjugales, l’homme aime son métier et prévoit de se marier avec Marie.
Quand un jour, il tente de sauver une connaissance, un jeune agriculteur en proie à des difficultés financières et administratives qui menace de se suicider. En voulant lui sauver la vie, il lui tire dessus et le tue. Sa vie vient de basculer et sera changée à jamais après ce drame…
Le contexte de la réalisation du film Albatros de Xavier Beauvois
On connait Xavier Beauvois à la réalisation. Il a notamment réalisé les films N’oublie pas que tu vas mourir (1995) avec lui-même, Chiara Mastroianni et Roschdy Zem mais aussi l’excellent « Le petit lieutenant (2005) » avec Nathalie Baye, Jalil Lespert et à nouveau Roschdy Zem. Avec ce nouveau film, le réalisateur de cinquante quatre ans, continue autour de l’uniforme. Après celui de la police, c’est ,cette fois, celui de la gendarmerie. Albatros semble complémentaire de Le petit lieutenant en passant de la police parisienne à la gendarmerie d’un bourg de province. Cependant Albatros ne peut se résumer à un film sur les gendarmes. Xavier Beauvois s’offre cette toile de fond pour aborder la tragédie des agriculteurs en difficulté ainsi que la réalité du couple face à un drame.
Un film sur la gendarmerie bien loin du gendarme de Saint-Tropez
Un film authentique sur le quotidien d’une gendarmerie
Au-delà du plaisir de faire un « bon mot », cela signifie surtout que Xavier Beauvois a choisi de dépeindre le quotidien d’une gendarmerie dans une esthétique proche du réel. Le fait que lui et son équipe aient pu vivre en immersion avec la brigade d’Étretat et le Peloton de surveillance et d’intervention gendarmerie (PSIG) de Fécamp n’y est pas étranger. Le film est également saisissant d’authenticité grâce au fait que Laurent Macé, adjudant à la brigade d’Etretat et ami de Xavier Beauvois, ait endossé la casquette de conseiller technique pendant le tournage du film. Enfin, le supplément d’âme s’explique par le fait que de vrais gendarmes sont acteurs de ce film et que Xavier Beauvois ait obtenu le droit de tourner dans les locaux de la brigade d’Étretat.
Des gendarmes en première ligne face aux maux de la société
A une époque où l’uniforme n’a pas une très bonne image, un film comme Albatros remet le rôle des forces de l’ordre en lumière et montre –s’il était nécessaire de le faire- qu’ils sont indispensables à la vie en société. De plus, le gendarme ,d’autant plus dans des petits bourgs tel qu’Etretat, a une vraie proximité avec la population. Il est quasiment immergé dans le rythme de celle-ci, au cœur de son quotidien fait en parti de problèmes et de drames. Cela existe sans doute forcément moins avec la police de ville mais les maux sont les mêmes.
Dans la réalisation de son œuvre cinématographique Albatros, X.Beauvois appuie sur le fait que les gendarmes de par leur proximité, ont dans leur travail une véritable dimension sociale voire, d’assistance sociale. Durant le film, on évoque tour à tour le suicide, les agressions sexuelles, les drames familiaux, une opération de déminage, un alcoolique que les gendarmes ramènent chez lui, ou encore un jeune qui se fait « engueuler » car il roule sans casque avec sa mobylette. Lors de ces différentes scènes, l’aspect de protection de leur mission est flagrant. La proximité avec la population qu’ils protègent rend leur tâche parfois difficile émotionnellement.
Des hommes et des femmes derrière l’uniforme de gendarme
Xavier Beauvois dans son œuvre met souvent en avant des «personnes ordinaires qui vivent tout à coup quelque chose d’extraordinaire». Le gendarme, au-delà de l’uniforme, est un homme ou une femme comme vous et moi. Face aux drames auxquels il est confronté, il tente de se protéger de certaines émotions. Il « cloisonne » mais il n’en demeure pas moins un être humain ! Un être humain qui a fait un choix : celui de s’engager pour les autres, presque un sacrifice dans notre société actuelle. Ce rôle, cette mission ne rend pas les gendarmes extérieurs à, ou au dessus de la société. Dans Albatros, on voit qu’ils sont traversés par les mêmes questionnements que les citoyens: le climat, l’écologie, et même les violences policières…
Les gendarmes sont des gens normaux, avec une arme ajouteront certains. La réalité est souvent qu’un gendarme ne sort que très rarement son arme durant sa carrière. Alors, tenir en joue quelqu’un, tirer ou encore tuer un être humain, c’est extrêmement rare. Certains traversent leur métier sans avoir à dégainer une seule fois en service. Ce rapport à l’arme, à ce pouvoir dans les mains d’une personne ordinaire est tissé en filagramme par Xavier Beauvois tout au long d’Albatros.
Un film sur la misère sociale des agriculteurs
L’idée du film est née chez Xavier Beauvois après la mort en 2017 de Jérôme Laronze, éleveur bovin de Saône-et-Loire, qui fut tué alors qu’il fonçait sur des gendarmes dans un geste totalement désespéré. Il existe une véritable souffrance chez beaucoup d’exploitants. En France, les agriculteurs ont le taux de mortalité par suicide le plus élevée de toutes les catégories sociales. Leur activité se meurt. En trente ans, le nombre d’exploitations a baissé de plus de 57% et aujourd’hui trois mille fermes sont à vendre. Et que dire de leurs revenus…
Xavier Beauvois connaît tout cela, il habite une ferme dans un hameau de Normandie depuis quinze ans. Il baigne dans ce monde rural qui travaille à perte, qui se lève tôt et finit tard, sans vacances ni week-end. Seules les grandes exploitations s’en sortent. Dans son film, X.Beauvois filme sans fard cette réalité de misère en milieu rural. C’est ce qu’incarne parfaitement le personnage de Julien l’agriculteur dépressif interprété par Geoffroy Sery lui-même agriculteur.
La réalité du couple face à un drame
Une troisième thématique porté à l’écran dans Albatros : celle du couple et de son quotidien. L’histoire intime du couple de Laurent et Marie est percutée par le terrible drame professionnel du gendarme. J’ai aimé cette histoire d’amour du quotidien qui n’est pas si souvent mis à l’écran. J’irais même jusqu’à dire que c’est également l’histoire d’une famille ordinaire face à une épreuve. Le fait que Marie soit la compagne de Xavier Beauvois et que Poulette la fille du couple soit aussi sa fille donne encore plus de profondeur aux relations intra familiales du film, et les font basculer à l’écran presque dans l’intime.
La relation entre Laurent et Marie renverse également quelques clichés. Par exemple, face à la demande en mariage, on la sent hésitante, peut-être pas prête à s’engager. On pourrait presque penser qu’elle tente de laisser couler cette demande en espérant qu’elle finisse par s’évanouir. Un « flou artistique » face à un gendarme qui souhaite « régulariser sa situation familiale ». Mais le couple fait face à cette crise à sa manière, loin des clichés romancés. Ici leur amour se construit autour du pardon et de la compréhension de toute la complexité de l’autre. C’est terriblement réel mais c’est sans doute aussi toute la force de cette histoire.
Les acteurs du film Albatros de Xavier Beauvois
Jérémie Renier en commandant de brigade de gendarmerie à Étretat
Cet acteur belge fut révélé en 1996 dans le film La promesse, des frères Dardenne. Il a tout au long de sa carrière évolué sous les ordres de réalisateurs de renom tels que François Ozon ou Christophe Gans (Le pacte des loups) dans un tout autre domaine. A mon sens, Jérémie Renier est un acteur protéiforme qui possède une capacité à endosser des rôles totalement différents. Cette aptitude lui a d’ailleurs permis d’incarner Claude François ou Pierre Bergé dans les biopics. Peut- hélas pour lui, même avec ses cheveux désormais grisonnant, je pense toujours à son rôle de Greg dans le film Dikkenek lorsque son visage apparaît à l’écran.
Concernant sa prestation dans le film Albatros, j’ai retrouvé cette faculté qu’a Jérémie Rénier à endosser plusieurs « costumes ». En effet, dans son rôle de Laurent il passe tour à tour de figure respectée d’Étretat, père, époux, petit-fils, voisin, marin, gendarme jusqu’à meurtrier avec beaucoup de justesse. Il donne une vraie profondeur à la trajectoire de Laurent, cet homme blessé par l’injustice qu’il traverse et pris dans les tourments d’une confrontation avec soi-même et sa conscience…
Victor Belmondo en jeune recrue de la gendarmerie
Belmondo! Voilà un nom qui a marqué le cinéma français. Victor est le petit-fils de Jean-Paul Belmondo. Avec un diplôme de scénariste, il se tourne dans un premier temps vers le théâtre. Il apparaît au cinéma en 2015 dans le film de Michel Leclerc: La Vie très privée de Monsieur Sim pour lequel Jean-Pierre Bacri fut nominé pour le César du meilleur acteur. En 2019, il obtient son premier grand rôle dans le film Mon bébé de Lisa Azuelos.
Dans Albatros, à 27 ans, Victor Belmondo joue le rôle d’un jeune gendarme qui va être le témoin impuissant de la mort de l’éleveur de bovins tué par Laurent. Avec Carole, il est un peu la jeune et –la 3eme en date- génération après celle de Laurent et de Pierre « l’ancien ». Outre son rôle de témoin du drame, il vient également poser à plusieurs reprises dans le film le regard de la jeunesse sur la société actuelle.
Iris Bry dans le rôle du gendarme Carole
La jeune actrice n’était peut-être pas destinée au cinéma. A l’origine, elle se destinait au métier de libraire après avoir suivi la formation musicale de Maîtrise de Radio France. Son destin va changer lorsqu’elle rencontrera Karen Hottois, la directrice de casting de Xavier Beauvois au hasard d’un casting sauvage. Le réalisateur décide de lui confier l’un des rôles principaux dans Les Gardiennes en 2017. Une réussite telle que sa prestation lui vaudra d’être nommée au César du meilleur espoir féminin en 2018.
Pour le rôle de Carole, X.Beauvois pense à nouveau à elle pour incarner une jeune gendarme. Plutôt logique et presque indispensable lorsqu’on sait que le métier se féminise de plus en plus. Depuis 1983 et que les femmes gendarmes représentent aujourd’hui environ 20% des effectifs. Elle aussi apporte une certaine vision de la nouvelle génération. Cependant, on sent chez Carole un certain désenchantement malgré le fait qu’elle prenne à cœur toute la profondeur sociale du rôle de gendarme.
Geoffroy Sery l’agriculteur devenu acteur dans le rôle de Julien l’agriculteur en difficulté
Dans Albatros, Xavier Beauvois a fait le choix fort de confier des rôles importants à des non-professionnels. C’est le cas de tous les autres acteurs qui vont suivre. Concernant Geoffroy Sery, il crève l’écran ! J’ai été totalement –et en deux temps- époustouflé par sa performance ! D’abord, je le fus par sa prestation poignante et pleine de vérité. Puis je le fus encore plus lorsque j’appris qu’il n’était pas acteur de métier lors de son intervention après la diffusion du film en avant-première. Geoffroy Séry est un agriculteur local qui fut découvert par Karen lors d’un casting en Normandie.
On ressent dans sa prestation un mélange d’instinct, de générosité, de naturel et –bien sûr- de compréhension du monde rural qui confère à son rôle de Julien une profondeur terriblement bouleversante.
Marie et Poulette : Le duo mère-fille
Dans Albatros, Xavier Beauvois a choisi de confier le premier rôle féminin à Marie-Julie Maille sa compagne et le rôle de la fille du couple Marie-Laurent à sa fille Madeleine Beauvois. Cela confère une certaine puissance aux relations familiales au sein du film Albatros.
En plus de jouer le rôle de la compagne de Laurent, Marie-Julie Maille est également monteuse et co-scénariste sur ce film. Ce n’est pas totalement une première pour elle d’être actrice. En effet puisqu’elle avait déjà eu un petit rôle dans le film Les Gardiennes. Dans Albatros, elle incarne une femme mystérieuse -mais non sans force- avec une prestation tout en creux, tout en réserve. Notre imaginaire, notre vécu viennent inconsciemment remplir ces creux. C’est à mon sens assez intelligent car cela permet au spectateur de s’approprier le film.
La petite Madeleine Beauvois dans son rôle de Poulette est vraiment touchante. Pourtant je suis assez difficile sur les prestations des enfants acteurs. Sans beaucoup de dialogues, avec une certaine maîtrise dans les jeux de regards, elle a une vraie présence dans le film. C’est notamment frappant dans la scène où elle console son père ou encore dans celle de la voiture où elle voit une inscription où son père est traité d’assassin.
Mon avis sur le film Albatros
Une belle mise en lumière de la Normandie
Amoureux de ma région, j’ai d’abord été heureux de voir la Normandie portée à l’écran, et qui plus est, mise à l’honneur. Xavier Beauvois habite depuis de nombreuses années le Pays de Caux. Il avait donc toute capacité à le faire sans fard mais dans sa beauté brute. Pour filmer un paysage, il faut l’aimer et c’est le cas de X.Beauvois.
Tout au long du film Albatros, on observe un véritable travail sur la lumière. Les lumières de ce coin de Normandie sont uniques. Elles ont inspiré de nombreux et célèbres peintres impressionnistes. Certaines scènes du film sont d’authentiques tableaux qui reflètent ce que la lumière normande nous offre.
Dans Albatros, on retrouve les rues et les paysages d’Auderville-la-Renaud, de Bénouville, d’Étretat, de Fécamp, du Havre, ou encore de Saint-Jouin-Bruneval. Pour moi, il a un vrai plaisir à reconnaitre à l’écran des lieux familiers mais également de ne pas les reconnaître. Je le prends comme une véritable invitation à revenir sur les lieux.
La double culpabilité de Laurent
A mon sens, il y a en effet deux culpabilités entremêlées. Il y d’abord celle de Laurent le gendarme qui tue un agriculteur mais également celle de Laurent l’homme qui tue une connaissance proche.
La mort de Julien est accidentelle. C’est un homicide involontaire. Cependant de ce décès naît très rapidement chez Laurent un sentiment de culpabilité liée à sa fonction. Dans un premier temps, il est dans la sidération mais le cadre de la gendarmerie et l’enquête viennent le rattraper. Les codes, les lois, les règles précises qu’un gendarme doit respecter en intervention sont alors analysées. Malheureusement, dans ce meurtre accidentel, il n’a pas respecté la manière d’agir que lui imposait son uniforme. C’est son instinct d’homme qui a agi, dans le désir de protéger, pour aboutir au résultat inverse. Il ressent donc de la culpabilité mais aussi une forme d’injustice.
Cette injustice vient s’immiscer dans sa vie familiale et personnelle, d’autant plus que Laurent connaissait bien Julien. Sa vie bascule: lui le bon gendarme, le bon capitaine, mais aussi le bon mari, le bon père, le bon petit-fils qu’il est également. En une seconde, tout cela se brise. Que ressent Laurent cet homme qui en tentant d’aider son prochain, a tué accidentellement celui-ci? Cette situation est totalement déchirante pour lui car finalement paradoxale.
Le double sentiment de culpabilité, cette blessure intérieure hante Laurent. Avant l’accident, il savait que Julien voulait se suicider, mais le doute demeure ! Pour lever ce doute, il part en mer pour trouver une réponse, sa réponse.
La force symbolique de la mer dans le film Albatros
Une partie du film Albatros a pour cadre la mer. Quand Laurent part en solitaire dans cette virée en mer, le spectateur pense d’abord à la fuite. Comme si les regards des autres l’obligeaient à cette fuite.
Mais au fil des flots, cette expédition en mer prend une forme de recherche de rédemption pour Laurent. Métaphoriquement, les scènes à bord du bateau sont fortes. En effet, quand Laurent est à l’intérieur de la cabine on ressent un certain étouffement. Sa pensée est comme noyé dans un maelstrom de souffrance. D’un autre côté, les passages sur le pont de Laurent pour lui une respiration énorme, une forme de libération. Le point d’orgue est bien entendu l’apparition du fantôme de Julien sur le bateau en pleine tempête. Son interprétation est libre. Cependant, je la vois comme le moment où Laurent accepte qu’il n’est pas coupable de la mort de Julien. Ce temps passé sur les flots a été salvateur pour Laurent en lui offrant la possibilité de se reconnecter à lui-même, un peu comme si la mer avait lavé son âme.