L’invitation du cinéma Pathé Rives de l’Orne de Caen à l’avant-première du film de Thomas Lilti « Première année » était -pour moi- frappée du sceau d’une certaine nostalgie. En effet, la projection de ce film esquissait de façon indicible le tableau d’un double rendez-vous teinté à la fois de souvenirs universitaires et de salles obscures.
Concernant ces dernières, j’ai commencé à les fréquenter assez jeune et de façon plutôt singulière. En effet, ma première séance fut à l’âge de 8 ans. Ce ne fut pas par un traditionnel Disney, mais avec le film…« les frères Pétard ». Honnêtement, je n’avais pas tout saisi à la thématique du film. Toutefois, cela n’empêcha pas certaines répliques de s’accrocher à moi. Aujourd’hui, je me surprends encore, spontanément, à utiliser des dialogues, tels que « de la beuh de la beuh de la beuh » ou « Ça va faire Mururoa dans ta tête à toi ». A douze ans, j’avais une centaine de films à mon actif, et pendant des années j’allais activement au cinéma. Cependant au fil des années -mais sans aucun désamour- le lien s’est peu à peu étiolé, pour finalement ne faire rimer grand écran qu’avec film à grand spectacle.
L’autre tiroir à souvenirs de ma mémoire ouvert avec la projection de « Première année » fut celui de mes années d’étudiant à l’université. Cette invitation fit réémerger les réminiscences d’un parcours de huit années dans l’enseignement supérieur, et notamment une première année à l’université en faculté d’histoire…qui ne dura finalement qu’un semestre.
Mais revenons plutôt à la raison de votre présence ici : le film de Thomas Lilti Première année.
Table des matières
Le synopsis du film Première année
Le film nous invite à suivre Antoine, redoublant, qui entame sa première année de médecine pour la troisième fois et Benjamin qui –lui- arrive directement du lycée. Rapidement les deux jeunes gens vont se lier d’amitié avec ce qui les rapproche mais aussi ce qui les sépare. Les deux personnages nous font plonger dans cette première année de médecine ultra compétitive. Univers où les journées semblent toujours trop courtes entre cours, bibliothèque et révisions tardives dédiées à un seul objectif : passer en seconde année. Souvent sur un fil, les deux étudiants découvriront chacun leurs limites face aux épreuves et tenteront de défier le fameux numérus clausus de la première année de médecine.
Le Contexte de la réalisation de Première année
Thomas Lilti clôturer sa trilogie sur la médecine
Après Hippocrate (2014) et Médecin de campagne (2016), Thomas Lilti nous replonge avec Première année dans l’univers de la médecine. Ce film vient clôturer sa trilogie en nous éclairant sur le système de formation des médecins. Dans ses trois films, il s’attache à brosser le ressenti de personnages à différents moments de leur vie par le spectre de leurs propres visions de la médecine.
Faut-il avoir vu les deux autres films pour aller voir Première année ? Je dirais: Oui et non…Vous vous attendiez à autre chose venant d’un Normand…Personnellement, j’avais vu les deux autres réalisations de Thomas Lilti, et beaucoup apprécié Hippocrate. Alors effectivement, on ressent bien une volonté de retour aux sources du réalisateur et une certaine envie de boucler la boucle. C’est un aspect intéressant dans la lecture de Première année. Cependant chaque film a sa propre vie, sa propre histoire, et ne pas connaître les autres ne nuit en rien.
Ainsi, sur l’écran, l’année défile sous nos yeux, nous immergeant dans cette « boucherie pédagogique », dans cette hyper compétition dans laquelle est propulsée cette partie de la jeunesse.
Un film sur l’université et sur la reproduction sociale
En effet, derrière la porte d’entrée de la médecine, se dévoile un autre aspect du film qui a -de suite- fait écho en moi. Le film met en lumière le fait que le système universitaire possède ses propres codes. Comprendre ce système, son fonctionnement, est essentiel. Dans Première année, Antoine et Benjamin interagissent et vivent ces codes de façons différentes. Petit à petit on comprend que nous ne sommes pas égaux face à cet univers codifié.
Bien souvent, il faut les avoir ou les intégrer rapidement pour continuer son « chemin éducatif ». Sans faire mon « Bourdieu de comptoir», il faut comprendre l’université –et plus globalement le système éducatif- comme un lieu qui ne réussit qu’aux étudiants qui détiennent un héritage culturel conforme aux exigences culturelles du système. Consciemment ou inconsciemment, c’est au sein de la famille que se construisent nos « habitus » et que se bâtit notre capital culturel. Ce constat met -bien entendu- à mal l’esprit de méritocratie de l’école et donc le fameux ascenseur social.
Finalement, si vous n’avez pas cet héritage en bagage, si vous n’avez pas ces « facilités », il vous faudra vous battre deux fois plus que les autres pour réussir dans le jeu des examens. Et c’est bien ce que Thomas Lilti dépeint dans ce film.
Un film sur la jeunesse et l’amitié
Construit tel un roman d’apprentissage, le film s’accroche à deux jeunes étudiants en médecine qui vont se lier d’amitié. L’un –Benjamin- découvre l’univers de la fac de médecine via les conseils de l’autre -Antoine- le redoublant. Dans l’épreuve, les rôles de chacun vont peu à peu se brouiller. Ce rapport humain est un second axe de lecture du film pleinement assumé par le réalisateur.
En effet, la dynamique du duo entre Benjamin et Antoine est en constante évolution. Ils s’apprivoisent, se dominent, s’admirent… Complicité, rancœur, jalousie, manque, toute la palette des sentiments vient colorer et redessiner leur relation.
Les acteurs du film Première année
Dans première année, Thomas Lilti s’appuie sur le tandem Vincent Lacoste et William Lebghil. Et à mes yeux, la mayonnaise prend bien. Le duo sert parfaitement l’histoire et le message.
Vincent Lacoste, dans un premier temps, s’est révélé dans un registre comique. Ainsi, il apparaît dans les films Les beaux gosses, Lolo ou encore Astérix et Obélix : Au service de Sa Majesté. Depuis quelques temps, il a choisi de prendre un virage vers un cinéma plus dramatique comme dans le drame « Plaire, aimer et courir vite » de Christophe Honoré récemment dans la sélection officielle du festival de Cannes 2018. Ici il retrouve Thomas Lilti qui l’avait dirigé sur Hippocrate en 2014.
William Lebghil est encore -pour le très grand public- Slimane de Soda. Après s’être révélé dans cette série, il s’est essayé au cinéma au sein de comédies telles que les Nouvelles aventures d’Aladin, La fine équipe ou encore Le sens de la fête. Ici il joue dans autre registre. J’avais une petite appréhension le concernant mais il dévoile, dans ce film, une vraie maîtrise. Il frôle parfois la comédie sans jamais y barboter.
L’avis du petit bonhomme de chemin sur le film Première Année
Sur le film en lui-même
Tout d’abord, je n’ai pas vu le temps passer, le rythme du film est efficace. La bande-son n’y est sans doute pas étrangère. Ensuite, la retranscription d’une université et d’une fac de médecine où l’héritage culturel finit par reproduire les inégalités de la société est plus que réussie. Enfin, j’ai trouvé les personnages d’Antoine et de Benjamin attachants. A la fin du film, j’avais presque envie d’aller boire une bière avec eux, pour prolonger le temps passé en leur compagnie. Sans doute parce que ce film a remué en moi plus que quelques souvenirs d’ancien combattant de la Fac.
La valeur immersive d’un film n’est pas toujours liée à l’utilisation d’une technologie. Il suffit parfois simplement d’être happé, rattrapé par des sentiments, des souvenirs. Ici, le film Première année l’a fait en me replongeant dans mon propre parcours universitaire.
Sur lui-même dans ce film
Clairement, je n’ai jamais été ce qu’on appelle un bon élève. Plutôt ce que les profs appellent un partisan du moindre effort. Au collège et au lycée, je ne voyais aucun intérêt à travailler plus que ce qui me permettait de passer l’obstacle. Je n’en retire ni gloire, ni regret, c’était simplement mon mode de fonctionnement. Ce dernier m’a permis de suivre mon petit bonhomme de chemin (réelle appréciation d’un de mes bulletins scolaires) jusqu’à l’université.
Le film m’ a fait me retourner sur ma propre première année en UFR d’histoire à l’université. A l’époque, ce dernier était extrêmement réputé et la première année ressemblait fortement à ce que j’ai vu dans le film de Thomas Lilti. Un numerus clausus non officiel donnait un pourcentage de plus au moins 10% de passages en deuxième année. Cela fleurait bon l’élitisme. Dans une ambiance compétitive à souhait, il fallait ingurgiter un maximum de connaissances. J’ai vite jugé que le prix était trop cher pour me réaliser dans ce qui reste encore aujourd’hui ma passion.
J’ai donc suivi un conseil condescendant à souhait: « Descends d’un étage mon garçon…va en géographie ». Certes l’UFR de géo était un étage en dessous, mais cela en dit long sur l’esprit de mandarinat qui régnait alors. Je partis donc à l’étage inférieur avec tout de même deux modules sous le bras. Finalement, je suis sorti du cursus universitaire avec un master de géographie et un de droit.
Mais pourquoi cette « réussite »?
Durant ces huit années de fac, les cours, les TD, la bibliothèque n’étaient pas spécialement ma tasse de thé. Je n’étais pas spécialement intelligent, je ne m’investissais pas réellement dans le travail. Vis à vis des autres, j’avais souvent l’impression de ne pas être réellement à ma place et d’être comme un « passager clandestin ». J’étais cet étudiant qui laisse les enseignants sur une impression qui entremêle doute, agacement et espérance.
J’étais un sorte de magicien d’Oz des études. J’ai très vite compris ce qu’on attendait de moi dans le système scolaire et plus encore à la fac. Très vite j’ai compris qu’il était plus important de savoir ce que l’enseignant voulait entendre que d’emmagasiner les savoirs et être l’énième personne à lui ressortir son propre cours. Finalement comprendre l’examen, comprendre l’examinateur avant de comprendre son cours. Je me contentais alors d’apprendre uniquement ce qui impressionnait et répondre aux questions qui n’étaient pas poser, pour cacher une certaine absence de travail.
Cependant, sans réel travail, ce fut toujours un cursus à paris et pas toujours gagnants. L’illusion s’est parfois envolée devant des examinateurs consciencieux. Là où j’y voyais de la chance et de la filouterie, c’était en fait que j’avais les codes et les utilisais à mon avantage. Inconsciemment je possédais les outils pour réussir dans un système dont j’avais compris le fonctionnement. Finalement plutôt absurde…
Bref, je conseille ce film aux anciens étudiants à la Fac, qui se poseront la question de savoir s’ils étaient un Benjamin ou un Antoine.
La fin alternative que vous ne verrez jamais
Dans la bande-annonce du film, Benjamin explique qu’il pense que « ceux qui deviendront médecins se rapprochent plus du reptile que de l’être humain. Et finalement c’était vrai. Si, à la fin du film, Benjamin et Antoine découvraient qu’en réalité la fac de médecine n’est autre que la porte d’entrée d’une future invasion de notre planète par des reptiliens humanoïdes.
Dans l’ombre, ces derniers fomentent l’asservissement de la race humaine en exerçant la médecine. Expériences, prise de contrôle de nos cerveaux, l’invasion est proche. Cependant, les deux héros finiront par contrecarrer ce plan infâme. L’étude de la médecine sera pour eux l’occasion de disséquer un reptilien. Ils comprennent alors que leur seul point faible ce sont les chatouilles. Sous couvert, d’experts en bizutage, ils partent alors dans un road-trip. L’objectif: faire des chatouilles à l’ensemble des étudiants en médecine. Sous leurs effets, les reptiliens meurent les uns après le autres, et Benjamin et Antoine sauvent finalement la terre…
Si vous voulez connaitre la vraie fin du film Première année, rendez-vous en salle le 12 septembre 2018…