Il y a quelques semaines, le cinéma Pathé des Rives de l’Orne à Caen m’invitait à découvrir le premier film d’Antoine Russbach. Il s’intitule « Ceux qui travaillent et l’acteur principal est Olivier Gourmet. L’univers du monde du travail et les rapports qui s’y jouent ont toujours été pour moi l’objet d’un véritable questionnement. Etant maintenant papa au foyer tout en travaillant à domicile, j’ai -de plus- trouvé plutôt cocasse de me replonger dans le monde de « ceux qui travaillent » avec Antoine Russbach.
Toujours pour découvrir le film sans à priori, ma manière de faire reste la même. Je me suis, comme pour les précédents, rendu à la séance à l’aveugle. C’est à dire sans avoir aucunement lu ni vu quoi que ce soit sur ce film. Avec comme seul élément de « référence »: l’affiche du film, je dirais que très honnêtement seul le nom d’Olivier Gourmet m’était familier. Un vrai saut dans l’inconnu qui me permet à l’occasion de sa sortie ce 25 septembre 2019, de partager avec vous et peut-être vous donner envie d’aller voir ce premier film.
Table des matières
Le synopsis de Ceux qui travaillent
Le film nous fait entrer dans la vie de Franck, cadre supérieur dans une grande compagnie de fret maritime. Rapidement, on s’aperçoit que ce dernier consacre une très grande part de sa vie au travail. Un jour, face à une situation de crise à bord d’un cargo, Frank, prend – seul et dans l’urgence – une décision qui va lui coûter son poste.
A partir de là, le personnage d’Oliver Gourmet est ébranlé par sa nouvelle situation. Pour lui, c’est une trahison du système auquel il a tout donné durant des années. Au fil du film, on découvre comment Franck est contraint de remettre toute sa vie en question face à cet événement.
Le contexte de la réalisation de Ceux qui travaillent d’Antoine Russbach
Une première réalisation pour débuter une future trilogie
Avec cette première réalisation en long métrage, Antoine Russbach a connu de nombreuses sélections en festivals. Son film s’inscrit dans un projet de trilogie du réalisateur. En effet, le réalisateur a la volonté après « Ceux qui travaillent », de nous offrir « Ceux qui combattent » puis « Ceux qui prient ». Ce projet a pour objectif de dresser un état général de la société actuelle.
Cette trilogie s’articulera autour du modèle médiéval formé par le tiers état (Ceux que travaillent), la noblesse (Ceux qui combattent) et le clergé (Ceux qui prient). Il aura pour ambition de mettre en évidence la difficulté de trouver sa place dans le monde actuel. Pour Antoine Russbach, au sein de la société actuelle, la pensée globale nous fait comprendre, plus ou moins insidieusement, qu’on peut toujours faire mieux, et met en permanence en doute notre rôle et nos capacités dans la société. Ainsi avec son premier volet « Ceux qui travaillent » Antoine Russbach tente de répondre à la question « Qui remplit finalement nos supermarchés ? ». Il va même au delà de ce simple questionnement. Il met en lumière ces hommes et femmes de l’invisible qui nous nourrissent et nous éclaire sur leur sort.
Le secteur du fret maritime en toile de fond
Le film « Ceux qui travaillent » se déroule dans le cadre du fret maritime. Antoine Russbach s’est inspiré de l’ouvrage d’Alain de Botton « Splendeurs et misères du travail » qui dans l’une de ses histoires raconte la trajectoire d’un poisson pané de l’assiette de l’enfant jusqu’au pêcheur. En creusant le sujet, et en discutant avec les hommes et femmes travaillant dans cette activité, le réalisateur s’est aperçu que dans le fret maritime, une partie des acteurs ne voyaient jamais de bateaux. Ces navires ne sont finalement que des points sur des cartes, les personnes qui y travaillent des voix et les produits qu’ils transportent des lignes de chiffres. Dans ce cadre et avec son film, Antoine Russbach touche du doigt la semi virtualité du monde dans lequel on plonge de plus en plus, avec les conséquences que cela peut avoir sur l’humain.
Une critique du système ?
Avec « Ceux qui travaillent » Antoine Russbach déclare ne pas avoir cherché à faire un film dogmatique qui fustige le système. Il a souhaité ni faire un film pro-capitalisme ni un film totalement anti-capitalisme. Le film est clairement politique, mais finalement il est reçu comme non polarisé. Ainsi, le film « Ceux qui travaillent » expose surtout le fait que le système actuel reste -qu’on le veuille ou non- celui qui nourrit en grande partie le monde occidental. Face à ce constat, et en suivant le personnage du film, la lumière est finalement posée sur notre propre hypocrisie et notre coresponsabilité vis à vis de ce système. A minima, on peut parler de notre aveuglement volontaire.
Ou une critique de l’humain?
De plus, à mon sens, le film va plus loin que ce constat sur notre société capitaliste. Ici, le focus est clairement mis sur le rapport entre l’individu et le collectif. Cependant, il n’est pas de ces « films sociaux » qui induisent de but en blanc une aliénation de l’individu par la société. Tout l’intérêt ici dans « Ceux qui travaillent » c’est « l’individu Franck » membre de la classe « dominante » qui est responsable de ses actes et de son devenir. C’est en tout cas, ce que le système veut fait croire. Où commence l’illusion? Où s’arrête le libre arbitre? Là est peut-être tout l’enjeu! C’est cette frontière que Antoine Russbach dessine: Celle qui voit les cols blancs qui se vivent comme leur propre chef. Dans ce film, l’idée est que c’est une illusion et le système réussit à faire que le col blanc s’auto-aliène.
Enfin, lorsqu’on creuse le personnage de Franck, le film d’Antoine Russbach développe aussi l’idée que nous sommes dans un système construit par des humains. Implacablement nos défaillances morales et nos aspirations ne peuvent que s’y refléter. Et à ce titre, le film questionne sur la nature humaine et son impact dans les systèmes que nous construisons.
Les acteurs du film « Ceux qui travaillent »
Le film d’Antoine Russbach s’appuie sur la présence de l’acteur belge Olivier Gourmet dans le rôle de chef de famille. Au cinéma, je me rappelle de lui dans les films des frères Dardenne « Rosetta » et « le Fils » qui lui a valu le prix d’interprétation masculine au festival de Cannes en 2002. J’ai aussi en tête son rôle dans le film « Peut-être » de Cédric Klapisch. Bref Olivier Gourmet est un acteur que j’affectionne tout particulièrement!
Olivier Gourmet en interprète d’un Frank Blanchet
Dans « Ceux qui travaillent », Oliver Gourmet joue le rôle d’un père de famille nombreuse dont seule la valeur travail compte à ses yeux. Le personnage de Franck Blanchet est un homme malheureux avec pourtant un travail et un certain niveau de vie. Dans sa grille de lecture du monde, le sens du sacrifice pour son travail, le désir d’argent et la réussite prennent une très grande part. Il travaille beaucoup avec l’idée qu’il appartient à un système méritocratique qui promet qu’on obtiendra tout si l’on sait tout y sacrifier.
Face à une situation exceptionnelle dans son travail, il sacrifie alors jusqu’à son empathie –presque son humanité-, avant d’être lui-même sacrifié par ses employeurs. Alors, en lui, s’entremêlent la valeur de son drame personnel et du crime qu’il a commis. Ces valeurs qui s’entrechoquent l’interroge personnellement sur ce que tout cela va finalement changer à la marche du monde. Au final, avec toute sa vie remise en question, il cherchera au cours du film à la fois sa place au sein de son foyer et dans le monde du travail.
Nadine la femme de Franck interprétée par Delphine Binet
L’idée d’Antoine Russbach en créant ce personnage de Nadine est d’offrir aux spectateurs un miroir dans lequel Franck se regarde, se juge. De plus, je crois même qu’elle représente à ses yeux un socle, une référence vers laquelle il se raccroche lorsque vient le temps de la vérité et du jugement. En filigrane on comprend que Nadine et Frank ont cheminé ensemble en partant d’une vie bien plus modeste. Elle fut son soutien dans son ascension sociale.
Leur relation est certes routinière mais pas dépourvue d’amour. Une complicité, une grande compréhension de la complexité de l’autre est à l’oeuvre. En tout cas pour Nadine! Cette complicité se joue aussi dans leurs regards, dans leur silence parfaitement posé par Antoine Russbach. Nadine est aussi sur pas mal de points l’interface entre Franck et les enfants. Enfin, plus ouverte au monde que Franck, à la découverte de sa décision et de ses conséquences, c’est elle qui lui révèle que d’autres choix que le sien étaient possibles.
Les enfants dont la fille cadette Mathilde
Ces derniers ne manquent de rien, sauf peut-être de liens. En effet, les membres de cette famille ne semble pas s’aimer. Les rapports sont difficiles entre lui et eux. Ils sont des enfants bourgeois, alors que lui, ne l’était pas. Paradoxalement c’est pourtant bien lui qui a fait d’eux ce qu’ils sont en leur offrant presque tout. Après le drame et la perte de son emploi, la famille de Franck sait ce qu’il a fait, mais fait semblant de l’ignorer et continue à consommer de la même façon. Ceci nous renvoie clairement à nous-même et à notre position en tant que consommateur. Nous sommes capables de nous indigner de la violence du système capitaliste et d’aller acheter un téléphone le lendemain.
La relation entre Mathilde la cadette et Franck est, à mon sens, un véritable pivot du film. C’est le seul enfant avec un lequel un lien persiste. Sa naïveté, sa fraîcheur sont comme un espoir pour Franck, puis un véritable enjeu d’avenir…l’enjeu de l’avenir. En effet, c’est ce lien qui va permettre à Franck de surnager. La magnifique fin entre lui et Mathilde en témoigne. Mais elle permet surtout au réalisateur de faire prendre corps au monde abstrait et invisible du fret maritime… Ce que finalement les rayons des supermarchés ne montrent pas, ne montrent jamais.
L’avis du bonhomme sur le film « Ceux qui travaillent »
Il faut, tout d’abord, tirer un grand coup de chapeau à l’interprétation d’Olivier Gourmet. Son jeu de corps, son utilisation parfaite des silences parfaits subliment ce personnage qui tente finalement de préserver sa dignité d’homme comme il le perçoit. Dans un premier temps, Franck « sauve les apparences », après la perte de son emploi. Il nous fait naviguer avec lui de la révolte à l’abattement. Par la suite, c’est plus un questionnement sur son statut d’homme/humain qui le taraude.
Dans l’ensemble, de son premier film Antoine Rusbach a réussi autant à me mettre en tension qu’en réflexion. Un exercice pas si évident! Outre le fait que les silences pleins dans le film nous donnent un sentiment d’oppression, ils nous laissent l’espace pour nous demander si nous aurions fait la même chose que Franck ou non. De plus, la façon de suivre Franck nous donne aussi un sentiment de proximité avec lui. Les plans vus de la banquette arrière de sa voiture ont une véritable puissance. De plus, ils nous offrent une vraie proximité qui fait qu’on peut se reconnaître dans ce personnage. Il y a dans ce film une matière à s’interroger sur notre propre vie.
Bon! Vous avez compris! Ceux qui travaillent m’a littéralement attrapé aux tripes. La vision de la société, du monde du travail, des rapports humains sont, à mon sens, très justes. C’est un film « politique » mais qui a su garder une certaine distance pour être réaliste et absolument pas dogmatique. Pas si simple lorsqu’on travaille au plus proche de l’humain et de son quotidien. Bref, je lui souhaite à ce film un très grand succès. Égoïstement j’aimerais voir la suite de la trilogie d’Antoine Russbach. En effet ce premier volet est plus que plein de belles promesses.
La fin alternative que vous ne verrez jamais
Dans Ceux qui travaillent Franck perd son emploi dans le fret maritime. Le personnage est alors à la recherche d’un nouvel emploi. Ayant conscience du fait que dans son ancien métier, tout était proche de l’irréel en tout cas de l’invisible,il aurait alors tenté de revenir au réel en s’engageant sur un bateau. Mais parfois l’irréel vous happe ou s’invite dans le réel. Après avoir fait le tour des bateaux à quai et n’essuyer que des échecs, il part boire, beaucoup trop et s’endort sur un quai du port. A son réveil, il est dans une cale. Le problème c’est que cela aurait été celle du Black Pearl du capitaine Jack Sparrow.
L’aventure en haute mer…ou presque
Le crossover sent la poudre! Quoi de mieux qu’une bande de forbans (pas mes chanteurs à banane) sans foi ni loi pour éviter de se noyer dans les eaux troubles du système. Il largue rapidement les amarres de sa vie d’avant. Cependant les flibustiers tels que ceux de Pirates de Caraïbes, dans le monde réél ils n’ont guère de succès. Allez-y vous prendre à l’abordage les cargos actuels avec un tel navire. Résultat: leur petite entreprise n aurait pas pris. Pour boucler les fins de mois, ils se seraient alors produits en spectacle itinérant.
Hélas! Comble de malchance, l’un des leurs aurait été un escroc. Il fallait s’en douter…Des pirates!!! Un jour, l’escroc un dénommé Tipiak en charge de ramasser au chapeau durant le spectacle et surtout de conserver la caisse, se serait fait la belle et aurait pris le large avec la fameuse recette. Franck se serait alors écrié » Tipiak il nous vole notre recette ». …Pirates!!
Si vous voulez connaître la vraie fin du film Ceux qui travaillent, rendez-vous en salle à partir du 25 septembre 2019